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Publié le 27 mars 2012 par Médiapart

Lettre ouverte à Nathalie Kosciusko-Morizet

«Vous estimez que nous avons tort? Venez le dire à la barre!» Par Yvan Gradis, Nicolas Hervé, Yann Le Breton, Jean-François Lenoir, Arthur Lutz, Céline Ramboz, Laurent Veyre De Soras et Jean-Michel Vourgère, membres du Collectif des déboulonneurs, jugés en appel le 3 avril prochain pour une action de «barbouillage».

Madame,

Nous sommes membres du Collectif des déboulonneurs. Relaxés en première instance en avril 2010 pour une action de barbouillage de panneaux publicitaires, nous retournerons au tribunal le 3 avril à la suite de la décision du Parquet de faire appel (1). Nous vous citons comme témoin lors de cette audience.

Vous n'étiez pas présente lors de cette action sur les Champs-Élysées en janvier 2008. Ce n'est bien évidemment pas un témoin des faits que nous faisons venir à la barre. Cela n'est nullement nécessaire puisque, agissant dans le cadre de la désobéissance civile non-violente, nous reconnaissons et assumons nos actes. Nous les assumons au point que six d'entre nous qui n'étaient pas poursuivis se sont spontanément présentés devant la cour pour demander à être jugés. Oui, nous avons ce jour-là dégradé des panneaux publicitaires avec des aérosols de peinture. Nous clamons haut et fort que ce geste symbolique était nécessaire et légitime.

La création de notre collectif en 2005 a été motivée par un constat simple. La loi encadrant l'affichage publicitaire est extrêmement permissive et n'est, de plus, même pas respectée. Face à cette situation, les pouvoirs politiques se complaisent depuis trente ans dans l'inaction, voire la complicité avec les afficheurs, tout en tenant des discours convenus sur l'invasion publicitaire dans l'espace public. Devant cette hypocrisie et ces dysfonctionnements démocratiques empêchant tout débat, l'acte de désobéissance civile doit interpeller et provoquer, nous l'espérons, un sursaut.

Vous l'aurez bien compris, c'est en tant qu'ancienne ministre chargée du Grenelle de l'environnement et plus spécifiquement en tant qu'initiatrice des travaux du Conseil national du paysage sur l'affichage publicitaire que nous vous sollicitons. Sur votre invitation, nous avons activement participé à ces travaux durant trois ans (2). Nous avons ainsi proposé de nombreuses pistes concrètes ainsi que leurs traductions législatives et réglementaires pour limiter la pollution visuelle engendrée par la publicité extérieure.

Las, tout le processus du Grenelle de l'affichage fut à l'image de ce que nous dénonçons depuis 2005. Entre cynisme et «concours de lâcheté», les textes ont finalement été taillés sur mesure pour les afficheurs, JCDecaux en tête: légalisation de dispositifs illégaux, généralisation des bâches géantes, arrivée massive des écrans numériques, réintroduction dans les parcs naturels régionaux ou aux abords des monuments historiques… Cette réforme se termine en apothéose avec la publication du décret d'application le 31 janvier dernier. Vous avez accepté de signer ce texte dicté par les professionnels. Selon votre entourage, «les gens de Decaux ont littéralement tenu [le] stylo pour écrire le décret. Dès qu’un truc ne leur plaisait pas, ils [le] faisaient réécrire» (3).

Alors bien sûr, vous n'êtes pas fière du résultat. Comment expliquer autrement votre silence sur le sujet depuis la consultation publique organisée en février 2011 sur ce décret? Seriez-vous prise de remords? Est-ce la décence qui vous fait taire? Peut-être avez-vous tout simplement renoncé à stopper «la culture de panneaux comme il en pousse des champignons» (4) parce que «l'environnement ça commence à bien faire». Une chose est sûre, nous ne sommes pas les seuls à estimer ces nouveaux textes catastrophiques. Commençons par le Conseil d'État, qui a validé le décret dans des conditions stupéfiantes. Il souligne «l’impossibilité (de) remédier dans des délais d’examen aussi courts» à la «profonde méconnaissance de ce secteur» et donc d’«évaluer avec un minimum d’objectivité» les effets de ce décret sur le terrain. Il précise également que «le résultat (est) dans un sens opposé aux opinions exprimées à une écrasante majorité» (5). Continuons avec les propos du député UMP Bertrand Pancher, rapporteur de la loi Grenelle, qui nous confiait avec un doux euphémisme: «Sur la pub, on a été mauvais». Enfin, votre propre ministère estime qu'avec ce nouveau cadre, les afficheurs pourront voir leur chiffre d'affaires croître de 30% (6) !

Les hasards du calendrier font que vous êtes actuellement engagée dans la campagne présidentielle et que vous y défendez le bilan de votre gouvernement. Il est temps de vous exprimer et d'assumer votre politique. Vous estimez que nous avons tort? Venez le dire à la barre! C'est nous qui risquons la condamnation. Conformément au Code de procédure pénale, vous êtes tenue de comparaître. Double exigence, donc, de vous voir le 3 avril : respect de la loi et respect du mandat politique face à la population.

Nous vous laissons le mot de la fin. «Il y a parfois, notamment du côté des élus, et j'en prends ma part de responsabilité, [...] un petit peu de schizophrénie au sens où c'est vrai que la publicité extérieure ça rapporte de l'argent et donc les élus trouvent ça moche» (7).

Prenez vos responsabilités.

Notes :

  1. http://www.deboulonneurs.org/article600.html
  2. http://www.deboulonneurs.org/rubrique33.html
  3. Canard Enchaîné – 1 juin 2011 – Ça vole bâche
  4. France 3 – Soir 3 – 11 mars 2011
  5. http://paysagesdefrance.org/spip.php?article467
  6. http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-116206QE.htm
  7. LCI – 5 juin 2008
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