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Publié le 21 juillet 2009 par Libération

Affichage publicitaire : bientôt la loi de la jungle

Il y a maintenant un an, dans l’euphorie du Grenelle de l’environnement, le gouvernement s’est aperçu que le paysage avait tout simplement été… oublié. La France est pourtant dans ce domaine la mauvaise élève : entrées de ville défigurées, panneaux sauvages qui enlaidissent les paysages urbains et périurbains, passants dont on monnaye cher le temps de cerveau humain disponible… Il y avait donc urgence à s’attaquer à la réforme de la loi encadrant la publicité extérieure, demandée depuis près de vingt ans par les associations. Datant de 1979, très complexe, honteusement permissive, cette loi est régulièrement et ouvertement bafouée par les professionnels du secteur.

Une session de rattrapage a alors été organisée au sein du Conseil national du paysage (CNP), ressuscité pour l’occasion. Ce matin, la session plénière de ce conseil se réunit. On s’oriente finalement vers le pire scénario : un démantèlement du principal outil permettant d’assurer le respect de la loi.

C’est bien là que se trouve le scandale de cette pseudo-réforme. On peut mettre toutes les meilleures intentions du monde dans une loi, qualifier la publicité extérieure d’«agression permanente», vouloir la «remettre à sa place» et en finir avec «l’effet dévastateur sur le paysage de la prolifération des panneaux publicitaires», il faut s’assurer qu’elle soit respectée. Sans une police de l’affichage efficace et des sanctions réellement dissuasives, tout le reste n’est que du vent.

Dans ce domaine, le pouvoir de police est exercé conjointement par les maires et les préfets. Globalement, pour des raisons qui leur sont propres, ni les uns, ni les autres ne s’attardent sur cette question et la prolifération publicitaire continue. Les maires font face à la complexité de la loi, aux pressions des professionnels et des commerçants. De plus, avec la taxe sur la publicité extérieure qu’ils apportent, certains maires, à la fois juge et partie, sont peu enclins à faire démonter les dispositifs publicitaires. Au niveau des départements, des circulaires sont régulièrement envoyées aux préfets pour leur enjoindre d’allouer des moyens humains suffisant à la police de l’affichage. Circulaires aussitôt oubliées, les effectifs ont ainsi baissé de 25 % entre 2006 et 2007 (derniers chiffres connus). Souvent prompts à déployer des effectifs policiers en nombre pour d’autres questions de société, on ne peut pas dire que cette tendance soit observée sur les questions environnementales. Dans les faits, on constate pourtant que ce sont principalement certaines préfectures, malgré leurs faibles moyens, qui tentent de faire respecter la loi, infligent les amendes et obtiennent des démontages. Elles sont les interlocutrices privilégiées des associations, telle que Paysages de France, qui veillent au respect de la loi.

Le projet actuel consiste à dessaisir les préfets de leurs pouvoirs de police au profit des seuls maires ! Le gouvernement se tire une balle dans le pied en supprimant le seul maillon de la chaîne qui agisse. La logique est pour le moins surprenante : la loi est très mal appliquée ? Faisons en sorte qu’elle le soit encore plus ! Comment peut-on croire que les maires se mettront miraculeusement à agir demain, alors qu’ils en ont parfaitement le pouvoir aujourd’hui et s’abstiennent ? Ce choix politique est fait en toute connaissance de cause et ne peut être que le reflet d’une complaisance douteuse à l’égard des professionnels.

C’est d’ailleurs au cours des réunions de l’atelier sur la publicité extérieure du CNP, que cette ancienne proposition du ministère revient alors sur le tapis, par l’intermédiaire de JC Decaux, bien cachée parmi les quelque 150 contributions émanant des associations, des professionnels et des experts. Le sénateur Ambroise Dupont, chargé par le gouvernement d’établir un rapport sur la réforme de la loi, convient, après avoir entendu tous les arguments, que ce n’est pas une bonne idée. Le 17 juin, ce dernier remettait son rapport à Mme Jouanno, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, en présence de la presse. Coup de théâtre, derrière quelques mesures intéressantes, mais ayant surtout une portée symbolique, on retrouve le démantèlement de la police de l’affichage. Mme Jouanno a, tout naturellement, salué le travail du sénateur et fait sienne les diverses propositions présentées. Selon ses propres termes, M. Dupont admet que sa «réflexion a évolué» et qu’il est revenu sur certaines de ses positions. C’est «très complet, précis, documenté», indique l’Union de la publicité extérieure (UPE), syndicat professionnel des afficheurs. Il y a deux semaines, Jean-Charles Decaux déclarait que «l’exécution de cette loi doit être mise entre les mains des maires». Ce dernier a tout compris : il sait qu’il aura, pour de multiples raisons, le champ libre avec les maires. Mme Jouanno organise ainsi tranquillement l’impunité des pollueurs : encore une belle réussite pour le Grenelle !

De la réunion du CNP de ce matin, on retiendra probablement quelques mesures médiatiques portées par le gouvernement. On assistera à de nouvelles envolées lyriques de Mme Jouanno sur les méfaits de la publicité extérieure. On passera beaucoup plus certainement sous silence la fin de la police de l’affichage qui sonne pourtant comme un message très clair aux oreilles des professionnels et annonce la porte ouverte à tous les abus. Enfin on ne parlera pas des mesures essentielles pour les paysages, portées par les associations, telles que la réduction effective des formats et des densités de dispositifs publicitaires.

Il est encore temps de renoncer à ce projet catastrophique : au contraire faisons respecter le code de l’environnement, par une vraie police de l’affichage, sous l’autorité de l’Etat, compétente et formée, et disposant de moyens d’action et de sanction. Adoptons des mesures concrètes et visibles par tous. M. Sarkozy demandait récemment encore à ses ministres de faire preuve «d’audace réformatrice».

Chiche !

Nicolas Hervé, Charlotte Nenner et Cyril Ronfort

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